Attendu de longue date, le rapport prévu par la loi Le Roux a été publié cette semaine par l’Igas (Inspection générale des affaires sociales). A l’inverse de l’Autorité de la concurrence, qui s’est systématiquement prononcée en faveur des réseaux, l’institution met en exergue les incertitudes et les risques liés au développement de ces dispositifs.
Le rapport de 161 pages a été élaboré à l’issue de plus de 200 auditions, d’une enquête auprès des organismes complémentaires, d’une analyse juridique et du recueil de différents indicateurs auprès des six principales plateformes sur lesquelles la mission de l’Igas s’est focalisée. Soulignant l’essor rapide des réseaux (qui, en 2016, couvraient 45 millions de bénéficiaires, contre 38 millions en 2013), il se livre à une critique directe de la loi Le Roux de 2014 qui légalise et encadre ces systèmes. Selon le rapport, certaines de ses dispositions sont carrément inapplicables : « la loi autorise, d’une part, la modulation du taux de remboursement et, d’autre part, protège la liberté de choix des patients, alors que la première est une nette restriction à la seconde » ; « la loi réserve à l’optique la possibilité de limiter le nombre d’adhésions alors qu’à travers des critères de sélection très sévères et des fenêtres d’adhésion très limitées dans le temps, des « réseaux restreints » ont été créés dans les secteurs dentaire et des aides auditives, selon la même logique que les réseaux fermés. »
Moyen anti-fraude, tarifs moins élevés : certes, mais…
L’Igas souligne que les réseaux « opèrent une régulation de l’offre de soins sans véritable contrôle ni contre-pouvoir ». En optique et en audio, elle considère qu’ils peuvent, à moyen terme, induire une raréfaction voire une disparition de l’offre locale et compliquer l’accès aux soins. La mission pointe aussi du doigt le déséquilibre de leur relation contractuelle avec les professionnels de santé : « outre d’être passées sans aucune négociation, ces conventions comportent une très forte asymétrie des droits et obligations réciproques. » Le rapport reconnaît que les réseaux sont un moyen efficace de lutte contre la fraude et qu’il existe des écarts de prix entre les produits vendus en leur sein et en-dehors (-20 % en moyenne pour les verres optiques, – 10 % pour les aides auditives). Il indique cependant que, sur cette question tarifaire, il est très difficile de se livrer à des comparaisons compte tenu des différences de produits. L’Igas se montre aussi sceptique sur l’impact des réseaux sur la qualité, cette notion étant difficile à appréhender en matière de santé, ainsi que sur le rôle des « professionnels consultants » qui contrôlent la conformité des soins aux prescriptions : « sans pouvoir se prononcer sur ce point, la mission constate que la quasi-absence de véritables bases opposables (peu d’outils/référentiels pour juger de la qualité) fragilise ce contrôle, de même que l’absence de communication sur l’identité ou même le profil de ces consultants. » Enfin, elle estime que les enquêtes de satisfaction menées par les plateformes auprès de leurs bénéficiaires ne reflètent que les « impressions » de ces derniers qui en « disent peu sur la qualité objective des actes effectuées.
Forte restriction de la liberté des patients et des professionnels de santé
L’Igas pointe le « caractère captif » de l’appartenance des patients aux réseaux de soins : « ce ne sont pas les assurés qui décident de recourir à telle ou telle plateforme mais leur organisme complémentaire. Or, pour les bénéficiaires de contrats collectifs, il n’est pas aisé voire même possible de changer d’organisme complémentaire. » Ensuite, il exerce selon le rapport une « contrainte forte » sur les professionnels de santé, en impactant directement leurs marges et en créant une dépendance, notamment en optique où les ventes réalisées via un des réseaux gérés par les 6 plateformes représentaient en moyenne 65 K€ en 2016, soit 13 % du chiffre d’affaires moyen des magasins. Cela pourrait « éventuellement avoir un impact sur la qualité et la sécurité des produits et surtout des soins », avertit la mission, qui souligne en outre l’absence d’encadrement de la gestion des données de santé recueillies par les réseaux.
9 recommandations
L’Igs formule la série de recommandations suivantes, à mettre en place à brève échéance :
- Procéder à une évaluation juridique approfondie du dispositif conventionnel sur lequel reposent les réseaux de soins (dès 2017)
- Améliorer la sécurité des données à caractère personnel et médical collectées par les réseaux de soins (dès 2018)
- Mettre en place un recueil structuré de données afin de mesurer le déploiement des réseaux de soins et leur activité (dès 2019)
- Définir le cahier des charges du dispositif de suivi en concertation avec l’ensemble des parties prenantes, dans le cadre du Système national des données de santé (dès 2018)
- Enrichir les enquêtes statistiques dédiées aux professionnels de santé et aux organismes complémentaires pour apprécier l’impact des réseaux de soins sur leurs résultats économiques et financiers (dès 2018)
- Lancer une étude conjointe CNAMTS-Ocam-plateformes pour évaluer l’impact des réseaux sur les prix (dès 2017)
- Etudier la possibilité d’apparier le SNIIRAM et les bases de données des gestionnaires de réseaux de soins pour évaluer leurs effets « volume » et « structure » (dès 2018)
- Lancer des études sur les bénéficiaires des réseaux de soins afin d’évaluer leur impact sur la segmentation et la redistribution au sein du système de santé (dès 2018)
- Développer les référentiels et les guides de bonne pratique dans les secteurs dentaire et de l’audition (dès 2018)