La 1ère table ronde du 44ème Congrès des audioprothésistes s’est déroulée ce matin. Organisée par le Snitem, elle a réuni Guillaume Joucla et Fabrice Vigneron (président et vice-président du pôle Audiologie de l’organisation), Cécile Parietti-Winkler (présidente du Collège d’ORL), Brice Jantzem (président du SDA) et Didier Bouccara (membre d’ORL-DPC). Ils ont échangé sur les freins à l’accès à l’audioprothèse, notamment en zones sous-denses, et les travaux en cours pour les lever.
Les effets positifs du 100 % santé sont aujourd’hui freinés par des problématiques croissantes d’accès aux soins dans les déserts médicaux. « On voit poindre une inégalité géographique. 60 % des Français ont déjà renoncé à un acte médical et la moitié d’entre eux à cause d’un délai trop long. Dans certaines zones, la démographie des ORL ne leur permet plus de réaliser toutes les primo-prescriptions dont les gens ont besoin », constate Guillaume Joucla. « 16 % des plus de 75 ans habitent à 30 minutes ou plus » du prescripteur le plus proche, ajoute Fabrice Vigneron. La situation est amenée à empirer avec une « diminution du nombre d’ORL, de 3 000 aujourd’hui à 2 400 en 2030, avant une remontée », prévient Cécile Parietti-Winkler. Autre facteur d’aggravation : la fin de la primo-prescription par les généralistes non formés à l’otologie, compte tenu du très faible intérêt de ces praticiens pour cette thématique. A date, 130 médecins généralistes auraient suivi la formation demandée, pour un besoin de 3 000, selon les estimations du rapport Igas. « La formation se déroule sur 2 demi-journées mais les participants doivent, après la session, envoyer des études de cas aux formateurs. A Paris, une formation a réuni une quinzaine de généralistes, mais nous avons eu des retours de seulement 4 participants, avec de grandes disparités dans la qualité des tests effectués. La barre est haute : ça leur demande du temps, de l’investissement dans du matériel d’audiométrie. On bute sur quelque chose », admet Didier Boucarra.
Débat sur l’origine de la fraude
Cécile Parietti-Winkler temporise l’aspect dramatique ainsi mis en exergue. « On décrit un système catastrophique mais dans ce cas, comment a-t-on pu observer cette augmentation historique du nombre d’appareillages et une croissance qui se maintient ? La France fait partie des pays ayant les meilleurs taux d’appareillage au monde, elle rattrape le Danemark ! L’Igas évoque même la possibilité d’un sur-appareillage – il en est de même pour la bilatéralisation, qui atteint 88 % – et lance l’hypothèse d’un indicateur de mauvaises pratiques », rappelle-t-elle en invitant la filière à réfléchir aux façons de faire ‘mieux’ plutôt que ‘plus’. « Nous voulons des patients bien appareillés et bien suivis par des audioprothésistes D.E. On se penche sur les trous dans la raquette : ce sont les zones sous-denses. » Brice Jantzem répond que la hausse a eu lieu avant la fin de la dérogation accordée aux généralistes, et que celle-ci impacte l’accès aux soins et « pousse à la fraude et au trafic de prescriptions. Les volumes sont maintenus en trichant et tous les audios sérieux se posent des questions ». Mais, pour Cécile Parietti-Winkler, qui soutient l’idée de la création d’un Ordre des audioprothésistes, la fraude est aussi due au dynamisme du marché, « une poule aux œufs d’or pour ceux qui ont des pratiques peu pertinentes, les surfacturations ou facturations d’actes non réalisés ayant lieu dans des zones sans problème d’accès ».
Un protocole article 51 sur les rails
Pour pallier les incontestables difficultés d’accès aux soins dans les déserts médicaux, les organisations professionnelles d’ORL, d’audioprothésistes, ainsi que les fabricants, travaillent à établir des possibilités des parcours de soins différents dans les zones sous-denses, dans le cadre de l’article 51 de la loi HPST. Ce protocole s’adressera aux patients de plus de 60 ans susceptibles de présenter une presbyacousie, domiciliés à plus de 60 minutes de trajet d’un ORL ou devant attendre plus de 6 mois pour un rendez-vous. Aucune date de mise en œuvre n’a, pour l’instant, été avancée, car les modalités précises, qui intégreront de la téléconsultation, de la télé-expertise et, dans certains cas, des audiogrammes réalisés par des audioprothésistes, ne sont pas encore arrêtées. Elles devront in fine être validées par les ARS, qui se chargeront de communiquer sur l’existence de ce protocole.
Cette table ronde s’est achevée sur un consensus mis en lumière par Guillaume Joucla : « Nous nous sommes réunis pour parler, c’est positif. Nous sommes d’accord sur le constat, avons initié une réflexion au travers de l’article 51, et sommes alignés sur la nécessité de lutter contre la fraude. »
Un parcours à adapter pour préserver un marché stabilisé
Dans une seconde intervention, Guillaume Joucla et Fabrice Vigneron ont évoqué l’évolution de la nomenclature en classe I et les actions du groupe Aides auditives au Snitem. Ils ont rappelé les objectifs de la réforme et ses principaux résultats : + 78 % de patients pris en charge tous paniers confondus entre 2018 et 2022, développement de la binauralité (1,75 appareil par patient en 2019 à 1,9 en 2022), baisse de 13 % du prix moyen entre 2020 et 2021. La classe I représente aujourd’hui 38 % des volumes. « Nous ne sommes pas sur un marché qui aurait basculé mais sur un équilibre vertueux. Le marché sur stabilise aujourd’hui avec des creux, qui s’expliquent par les changements sur la prescription », commente Guillaume Joucla, en évoquant un repli des volumes de 5 % cette année, « ce qui est correct après + 86 % ». Les représentants du Snitem se réjouissent de la « saine concurrence entre les acteurs, qui fait évoluer naturellement la nomenclature », avec des changements réguliers d’appareils 100 % santé et l’arrivée d’options non obligatoires (bluetooth, surpuissants…). Dans ce contexte, le Snitem distingue les leviers de succès à maintenir – unité de la filière, valorisation des appareils de la classe I, innovation valorisable en classe II – et ceux à considérer désormais : la mise en place d’un dépistage systématique aux âges importants et des adaptations nécessaires pour garder le patient dans le parcours de soin (accès à la prescription et aux audios, délégation de tâches, suivis…).