Clément Leriche et Robin Morgand, étudiants à IMT Atlantique (Mines-Télécom), ont présenté au Congrès 2025 une méthode de détection des anomalies pouvant faire suspecter des factures frauduleuses, basée sur des algorithmes et l’intelligence artificielle.
Pendant 6 mois, un groupe d’étudiants d’IMT Atlantique a travaillé sur la détection des fraudes aux audioprothèses, en collaboration avec le SDA. Leur analyse porte sur la période 2021-2024 et prend pour point de départ un tableau de bord interactif qui permet de visualiser les principales données du marché français (tirées du SNDS et anonymisées), région par région : répartition par âge du patient, prix moyen / appareil, part de classe I, proportion de C2S, etc. Cette base permet d’effectuer des comparaisons rapides. Les futurs ingénieurs ont ainsi établi que sur la période étudiée, un établissement type équipait des patients âgés de 73 ans, délivrait 169 appareils / an (dont 34 % de classe I) prescrits par 35 médecins (dont 65 % d’ORL), pour un CA de 223 850 euros. Sur la base de cette norme, l’analyse avance une estimation du nombre de remboursements atypiques et établit des indicateurs d’anomalies.
55,5 M€ de pertes potentielles
A l’aide d’une IA, les étudiants ont pu isoler les cas atypiques. Ce modèle, appelé Isolation Forest, analyse l’ensemble des établissements en comparant leurs indicateurs clés et détecte ceux qui s’éloignent significativement de la norme. Le processus a été enrichi d’indicateurs définis avec l’aide d’un audioprothésiste qui a identifié des schémas récurrents de fraudes potentielles :
- un délai très court entre prescription et facturation peut suggérer une ordonnance « achetée »
- une concentration inhabituelle de bénéficiaires éloignés de l’établissement laisse à penser que ces personnes sont appareillées à distance
- un faible pourcentage d’ORL prescripteurs peut indiquer un contournement des spécialistes
- une moyenne d’âge des patients beaucoup plus jeune que la norme peut être le signe d’un détournement d’appareils pour des assurés non éligibles
- une forte proportion de classe I peut indiquer une tentative de maximisation des remboursements sans reste à charge.
- une hausse importante du nombre de délivrances sur certaines périodes (en décalage avec la moyenne nationale ou régionale) peut signifier une fraude organisée
Sur un total de 4 774 379 transactions, des anomalies ont ainsi été décelées sur 47 742 dossiers, soit 1 % d’entre eux. L’analyse estime ainsi les pertes potentielles à 55,5 millions d’euros.
Des contrôles mieux ciblés
« Un établissement présentant des anomalies ne signifie pas forcément qu’il y a fraude », ont expliqué Clément Leriche et Robin Morgand. Les résultats doivent toujours être confrontés à l’avis d’un expert du domaine. » L’anomalie doit donc être vue comme un signal d’alerte nécessitant une vérification approfondie. L’anonymisation des données est une autre limite de cette approche qui devra être confrontée aux données nominatives des CPAM et des Ocam pour obtenir des résultats qualifiés. A terme, cette méthode pourrait être appliquée dans le cadre de contrôles en amont : « l’Assurance maladie pourrait mettre en place des filtres sur un certain nombre d’indicateurs et ne vérifier que les feuilles de soins suspectes. Cela éviterait que les audios soient tous contrôlés en permanence », a suggéré Brice Jantzem, président du SDA.
Les étudiants d’IMT Atlantique ont listé les indicateurs clés pouvant faire suspecter une fraude. Ils en ont identifié une dizaine : financiers, liés aux bénéficiaires, aux types d’appareils, à la prescription ou à la géographie.