Ouïe Magazine
Publié le 20/06/2019

L’Observatoire de la santé visuelle et auditive fait cette année un point précis sur les rôles conjugués de l’audition et de la vue dans l’apprentissage de la lecture et sur les conséquences désastreuses d’un trouble sensoriel non pris en charge à cette période du développement des enfants.

Les cahiers 2019 de l’Observatoire du groupe Optic 2000 sont consacrés au thème : « Vue et audition des enfants : comprendre et prévenir l’impact des troubles sur l’apprentissage de la lecture ». Depuis 2015, l’enseigne cherche à se positionner comme « auxiliaire de la santé dans tous ses axes », selon les mots d’Yves Guénin, secrétaire général. Après qu’une étude a été réalisée par OpinionWay*, comme chaque année, une table-ronde a réuni, à Paris, des spécialistes de la question. Il en ressort que les enseignants sont attentifs aux difficultés sensorielles de leurs élèves (87 % ont déjà repéré des troubles visuels, 47 % des troubles auditifs) et aménagent leurs pratiques pour les enfants qui  en souffrent. Mais, dans leur immense majorité, ils s’estiment insuffisamment armés sur ces questions. Seuls 2 % se disent assez formés sur les déficits auditifs (3 % pour la vue). Or, d’après parents et enseignants, à peine le tiers des enfants ont bénéficié d’un dépistage en milieu scolaire (32 % pour l’ouïe, 31 % pour la vue). Les répondants s’accordent sur l’idée qu’il conviendrait d’en organiser systématiquement (8 parents et enseignants sur 10). L’enquête dessine un paysage peu satisfaisant… Alors même que les capacités sensorielles sont fondamentales dans l’apprentissage de la lecture, au-delà même de l’intuition que nous pouvons tous en avoir.

Bien entendre et bien voir : nécessités absolues pour apprendre

« La compréhension d’un texte est le produit multiplicatif de deux facultés indépendantes : la reconnaissance des mots écrits et la compréhension orale », explique Johannes Ziegler, directeur de recherche au CNRS, qui dirige le laboratoire de psychologie cognitive (CNRS-AMU) et codirige l’institut Convergences à l’université d’Aix-Marseille. Cela signifie que si l’une de ces deux facultés est minorée, l’enfant ne peut accéder à la compréhension d’un texte. « Le lien entre trouble phonologique et trouble d’apprentissage de la lecture est très bien établi, poursuit le chercheur. L’enfant doit apprendre à faire le lien entre graphèmes et phonèmes. S’il a des difficultés à discriminer les phonèmes, il sera en difficulté pour accéder à la lecture et, en cascade, pour les autres apprentissages. Des déficits auditifs assez subtils, qui entravent peu la perception de la parole – nous avons l’habitude de désambiguïser un signal souvent bruité par l’environnement grâce au contexte  – vont affecter beaucoup plus sérieusement l’apprentissage de la lecture. » Un enfant qui mélange la moitié des phonèmes proches se trouve dans l’incapacité d’apprendre à distinguer des mots à l’écrit.

Des troubles auditifs transitoires à ne pas négliger

« Au cours de son développement, l’enfant traverse plusieurs périodes critiques pour le traitement auditif du langage », rappelle Annie Dumont, orthophoniste, chargée de cours à l’UPMC Sorbonne Université. La conscience phonologique s’acquiert entre 5 et 7 ans, mais le repérage des syllabes débute vers 1 an.  « 85 % des enfants développent une otite avant l’âge de 2 ans et 40 % sont récidivantes, indique Annie Dumont. Des déficiences auditives légères ou modérées peuvent rendre difficile l’apprentissage de la lecture. C’est le comportement qui peut alerter l’entourage ou les enseignants sur les troubles de l’audition associés aux otites séreuses, qui sont régulièrement indolores et passent potentiellement inaperçues : un enfant qui se renferme, qui comprend mal, qui est en décalage par rapport aux autres, plus irritable… L’imprécision dans la perception des contrastes phonétiques affecte directement la compréhension orale, qui repose sur la perception de petits modules moins accentués. Il faudrait faire systématiquement un bilan ORL aux enfants qui vont chez l’orthophoniste. »

La pluridisciplinarité, clé de la prise en charge pédiatrique

Les interventions des spécialistes ont toutes souligné l’importance de la prise en compte des troubles sensoriels entre 5 et 7 ans. Dans les formations des professionnels de santé et dans les dépistages prévus (voir ci-dessous), l’accent est plutôt mis sur les enfants plus jeunes. « On fait assez facilement le rapprochement entre déficit auditif et problème d’acquisition du langage, moins avec les difficultés d’apprentissage de la lecture, relève Marie Legrand, directrice réseau Audio 2000. Il est donc indispensable que la prise en charge des troubles auditifs des enfants soit pluridisciplinaire : ORL, audioprothésiste, orthophoniste, éventuellement psychomotricien… Il faut également accompagner les parents et les enseignants. C’est pourquoi nous avons des centres spécialisés dans l’appareillage pédiatrique, où exercent des audios qui ont le DU Audiophonologie de l’enfant. Le dépistage néonatal est une chance. Mais le repérage des troubles auditifs est insuffisant entre 1 et 3 ans puis entre 5 et 7 ans. En effet, on a encore une vision trop manichéenne de la surdité, les parents et les enseignants ignorent souvent que de petites pertes peuvent avoir un impact important. »

Les corrélations fortes, scientifiquement établies, entre déficits sensoriels même mineurs ou transitoires et difficultés d’apprentissage rappellent à tous, parents, enseignants, professionnels de santé, la nécessité d’une vigilance particulière aux signes comportementaux et d’une orientation plus systématique vers des bilans ORL et ophtalmo en cas de doute.

Les dépistages prévus avant 6 ans

  • Dépistage néonatal des troubles auditifs systématiquement proposé
  • Dépistages recommandés par la HAS à 4 mois, 9 mois 2 ans et 4 ans
  • En milieu scolaire, des dépistages visuels et auditifs sont prévus dans le cadre des visites médicales réalisées dans la 6e et la 12e année. Mais selon l’Éducation nationale, moins de la moitié des élèves en bénéficie.

* Etude quantitative réalisée du 11 au 26 mars 2019 auprès d’un échantillon représentatif de 1.007 parents d’élèves de CP, CE1 et CE2 et de 123 enseignants de ces niveaux.

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